Martingale à un jeu de hasard

Gagnant à coup sûr ! mais à quel prix ?!


Martingale à un jeu de hasard

Une martingale est une stratégie de mises aux jeux de hasard. L'objectif est bien sûr d'essayer ainsi, par cette stratégie, d'adapter son comportement (ses mises) selon les résultats précédents.
En théorie une martingale permet d'asssurer un gain à coup sûr à un jeu de hasard. En théorie seulement, car la pratique se révèle moins utopique. C'est ce que nous allons voir justement dans cette page.

Martingale classique

Prenons un jeu de hasard, pour lequel on a une probabilité de gagner p avec la règle: lorsqu'on gagne effectivement on double notre mise pariée alors qu'en cas de perte, on perd purement et simplement notre mise.
Le pari est, par définition, risqué. On peut penser à un pile ou face avec p = 1/2 = 50%, ou à la roulette dans un casino avec p = 18/37, ou à tout autre jeu de hasard.

La martingale classique, la plus connue, est la stratégie suivante.
On mise initialement 1 euro.

  • Si on gagne, on est content et on s'arrête avec notre gain de 2 euros, soit 1 euro net (2 euros moins la mise de 1 euro). Et on peut recommencer.
  • Si on perd, on rejoue en misant cette fois 2 euros.
    • Si on gagne cette 2ème partie on remporte donc 4 euros, soit 1 euro net (4 euros moins les mises de la 1ère et de la 2ème partie, 1 euro et 2 euros). On s'arrête alors avec notre gain, et on peut recommencer au début si on le souhaite.
    • Si on perd, on rejour en misant cette fois 4 euros.
      • Si gagne, …
Si on continue, éventuellement inlassablement, cette stratégie, on gagne forcément 1 euro. On peut représenter cette stratégie par un arbre de probabilités

Espérance pour la martingale

L'espérance se calcule alors selon:
E = 1×p + 1×(1−p)p + 1(1−p)2p + … = p +∞ k=0 (1−p)k
On reconnaît là la série géométrique, convergente pour |x|<1,
S(x) = +∞ k=0 xk = 1/1 − x
On trouve donc l'espérance
E = pS(1−p) = p1/1 − (1−p) = p1/p = 1
et on calcule et démontre bien le résultat évident depuis le début: avec cette martingale, cette stratégie, on gagne assurément 1 euro.
On gagne 1 euros à tous les coups, SI on est prêt à ne jamais arrêter la martingale: cela signifie en particulier qu'on dispose d'un capital à miser infini.

Imaginons qu'on ait au contraire un capital fini, et qu'on sache donc dès le début qu'on ne pourra pas miser plus que ce capital. Que devient l'espérance ?

Espérance pour la martingale tronquée

Disons par exemple, pour commencer, qu'on dispose d'un capital de 10 euros. Avec une mise de départ de 1 euros, on ne paut pas perdre plus de 3 fois consécutivement, soit la perte de 1+2+4 = 7 euros, et cela arrive avec la probabilité p = 1/23 = 1/8 Dans tous les autres cas, on gagne 1 euros comme on l'a vu auparavant.
On a donc la loi de probabilité pour le gain, avec un capital limité à 10 euros:
Gain1−7
Probabilité7/81/8
et on calcule facilement l'espérance:
E = 1×7/8 + (−7)×1/8 = 0
et l'espérance et donc la même avec la martingale ou en jouant simplement au jeu une fois.
Bon, se limiter à 3 parties dans la martingale est peut être un peu trop limité. Après tout, la probabilité de perdre diminue rapidement avec le nombre de parties dans la martingale. Et si notre capital de départ permettait de miser pendant au moins 10 parties successives, ou 100 parties, l'espérance ne se rapprocherait-elle pas de 1 euros qui est l'espérance de la martingale infinie ?
C'est parti, calculons.
Soit donc n le nombre de parties sur lesquelles on peut miser successivement dans la martingale. La probabilité de perdre (qui diminue bien avec le nombre n de parties) est alors de
p = 1/2n
tandis qu'on peut gagner 1 euro soit à la 1ère partie avec la probabilité 1/2 ou à la 2ème avec la probabilité 1/22, ou à la 3ème, …, jusqu'à la n-ième avec la probabilité 1/2n.
En résumé, ma probabilité de gagner 1 euro avant n parties est donc la somme géométrique
pn = n k=1 1/2k = 1/2 n−1 k=0 1/2k = 1/2× 1 − 1/2n / 1 − 1/2 = 1 − 1/2n
et on a donc la loi de probabilité pour le gain, en limitant à n pertes successives
Gain1−2n+1
Probabilité1 − 1/2n 1/2n
et on calcule alors à nouveau que l'espérance est nulle:
En = 1 − 1/2n + (−2n+1)×1/2n = 1 − 1/2n + −1 + 1/2n = 0


Finalement donc, si on sait dès le début qu'on ne va pas pouvoir continuer indéfiniment la martingale, le gain moyen sera le même, sur un grand nombre de parties, en jouant chaque fois au hasard, ou en mettant en place une stratégie de martingale: la martingale ne change pas l'éspérance !.
Ce résultat n'est pas forcément intuitif, puisqu'une martingale est construite pour mener à un gain sûr (espérance égale à 1) et qu'on a donc l'impression qu'en augmentant le nombre de parties successives l'espérance va aussi augmenter pour se rapprocher de 1. Ceci est faux, et on vient de démontrer en termes mathématiques que l'espérance En pour une martingale limitée à n parties vérifie les propriétés:
nN , En = 0
et
 limn+∞ En = 1
Ce dernier résultat montre que, bien plus encore que non intuitif, ce résultat est même faux … Il est impossible qu'une suite constante égale à 0 tende vers 1.

Retour sur l'espérance de la martingale infinie

Le calcul de l'espérance pour la martingale infinie, non tronquée était en fait erroné. On le reprend ici. Pour calculer l'espérance de la martingale infini, il faut mathématiquement calculer l'expression de l'espérance En puis, ensuite, faire tendre n vers l'infini.
Avec l'arbre de probabilité précédent, on a pour n où la perte en cas de n défaites consécutives est −2n+1
En = 1/2 + 1/22 + … + 1/2n−1 + 1/2n×(−2n+1)
La première partie est à nouveau la somme des termes d'une suite géométrique de raison 1/2, et on trouve alors, comme dans le calcul d'espérace précédant, que pour tout entier n
En = 0
ce qui finit de montrer à quel point ceci est contre intuitif: même si dans la martingale on "doit bien finir par gagner, forcément, à un moment" l'espérance reste nulle: la martingale n'apporte rien par rapport au fait de jouer plusieurs fois indépendamment à ce jeu.

Retour sur l'espérance de la martingale non équiprobable infinie

Le calcul du paragraphe précédent corrige le calcul de l'espérance pour la martingale infinie et équiprobable, c'est-à-dire où la probabilité de gagner, et de perdre, à chaque tour est de p=1/2.
Qu'en est-il avec une probabilité quelconque 0<p<1.
Là aussi, en reprenant le calcul de l'espérance En, avec l'arbre de probabilités, on calcule cette fois que
En = p + p(1−p) + p(1−p)2 + … + p(1−p)n−1 + (1−p)n(−2n+1)
où on retrouve à nouveau la somme des premiers termes d'une suite géométrique de raison (1−p:
En = p 1−(1−p)n/1−(1−p) + (1−p)n(−2n+1)
soit
En = 1−(1−p)n + (1−p)n(−2n+1)
ou encore, en développant la dernière parenthèse et en simplifiant,
En = 1−[2(1−p)]n
et ainsi,
  • si p>1/2 ⇔ 2(1−p)<1 et alors l'espérance tend vers 1
  • si p<1/2 ⇔ 2(1−p)>1 alors l'espérance est négative et tend vers −∞
  • si p=1/2 alors l'espérance est inconditionnellement nulle, comme on l'a d'ailleurs vu en détail auparavant
Interprétons donc ces derniers résultats, surtout en comparant avec le jeu simple, jeu de hasard sans stratégie particulière, ni martingale.

Interprétation de l'espérance et intérêt, on non, d'une martingale

En misant à ce jeu n fois: mise de 1 euro et probabilité p de remporter 2 euros et le reste de perdre sa mise, et toujours la même mise de 1 euro, sans aucune stratégie, le nombre de succès sur les n parties est en moyenne E = np (espérance pour une loi binomiale de paramètres n et p justement).
Ainsi, on s'attend à gagner le gain net, sur n parties:
G = 2npn = 2np1/2
Ce résultat est à comparé à l'espérance calculée au paragraphe précédente avec une martingale.
  • si p>1/2 alors l'espérance pour la martingale est strictement positive, inférieure à 1, et tend vers 1 lorsque le nombre de pertes consécutives augmente.
    D'un autre côté; sans martingale, le calcul précédent du gain montre bien que l'espérance est déjà positive, et même, d'ailleurs, plus importante.
    Nul besoin donc de martingale, qui est même contre-productive.

  • si p<1/2 alors à chaque mise le jeu est défavorable au parieur qui va donc y perdre en moyenne, avec ou sans martingale: l'espérance dans les 2 cas est négative, et tend vers −∞ avec lorsque le nombre n de répétition augmente, dans la martingale ou non.
    Mais, au fait, quelle idée de miser à jeu de hasard défavorable ?? (c'est la cas de la roulette dans les casinos par exemple, avec p = 18/37)

  • si p=1/2 alors l'espérance est inconditionnellement nulle avec, ou sans martingale. Quel intérêt d'une martingale alors ?


Au cas où les calculs précédents ne soient pas encore suffisamment convaincants, "on sait qu'en général" ce qui limite l'usage des martingales est le risque pris d'une série noire: un enchaîement de pertes, qui bien qu'en théorie forcément finalement compenser par le mécanisme même de la martingale (vous y croyez encore après les cacluls précédents ?), nécessite d'avoir les fonds nécessaires pour pouvoir poursuivre la martingale jusqu'au bout.
Intéressons-nous maintenant donc, non plus au gain, mais aux mises qu'on va devoir investir en moyenne. Celles-ci sont directement reliées au nombre de parties. Plus précisément, à la nème partie on doit miser 2n euros.
Il reste à savoir combien de parties on doit espérer faire avant de gagner, c'est-à-dire aussi la mise qu'on doit se préparer à investir.

Nombre moyen de parties et mise investie

Il s'agit de compter le nombre de parties jouées, en moyenne, avant de gagner et donc de s'arrêter.
Si on note X la variable aléatoire égale au rang d'arrêt, c'est-à-dire au rang du premier succès, on a alors la loi de probabilité
rang d'arrêt
X = i
123
Probabilité
P(X=i)
pp(1−p)p(1−p)2
et l'espérance est alors
E(X) = p + 2×(1−p)p + 3(1−p)2p + … = +∞ k=1 kp(1−p)k−1
La variable aléatoire X ainsi définie et utiliser suit la loi de probabilité géométrique de paramètre p. À ce titre, on sait que son espérance est
E(X) = 1/p
Cette espérance représente le nombre moyen de parties jouées avant de gagner.

Maintenant, à la kème partie on mise 2k−1 euros, et donc, si on gagne à la nème partie, on aura miser en tout sur les n parties successives

Mn = 1 + 2 + 22 + … + 2n−1
qui est à nouveau une somme géométrique égale à
Mn = 1 − 2n/1 − 2 = 2n − 1
C'est cette mise, pour n = E(X) = 1/p, qui devient rapidement vertigineuse et peut rendre en pratique inutilisable cette martingale.
Voyons ça avec quelques valeurs numériques.

Applications numériques

Il n'y ici qu'un seul paramètre: la probabilité p de victoire à chaque partie.

p = 1/2: cas d'équiprobabilité

Pour p=1/2, on a l'espérance du nombre de parties jouées avant le premier succès, donc avant de remporter notre euro de gain et d'arrêter, qui vaut
E(X) = 1/p = 2
c'est-à-dire qu'on va gagner en moyenne toutes les deux parties.
On doit s'attendre à investir des mises d'en moyenne
M = 2E(X)−1 = 3
soit 3 euro, c'est jouable.

p = 1/10: cas défavorable

De même, l'espérance du nombre de parties jouées avant le premier succès, donc avant de remporter notre euro de gain et d'arrêter, qui vaut
E(X) = 1/p = 10
c'est-à-dire qu'on va gagner en moyenne toutes les 10 parties.
On doit s'attendre à investir des mises d'en moyenne
M = 2E(X)−1 = 1023
soit 511 euros, c'est-à-dire aussi 1023 fois la mise de départ de 1 euro, et donc aussi 1023 fois la gain obtenu (qui est toujours aussi sûr, certes, mais d'un montant d'un seul euro).

p = 1/20: cas très défavorable

L'espérance du nombre de parties jouées augmente encore (logique puisqu'on gagne plus rarement) avant le premier succès, et vaut
E(X) = 1/p = 20
c'est-à-dire qu'on va gagner en moyenne toutes les 20 parties.
On doit s'attendre à investir des mises d'en moyenne
M = 2E(X)−1 ≃ 106
soit environ 1 million d'euros…

La mise à investir augmente considérablement à chaque partie perdue, et même si on est sûr de la compenser à un moment ou un autre, il faut avoir les moyens !
On s'est de plus focalisé sur l'espérance, mais la probabilité d'avoir un nombre de tirages perdants consécutifs qui dépasse celle-ci n'est pas négligeable.

Probabilité de dépasser largement la moyenne espérée

On rappelle que pour une loi géométrique de paramètre p et avec q = 1 − p la probabilité de l'échec, on a la probabilité
P(X > k) = qk
Par exemple, pour p = 1/2, on a vu que, en moyenne, on s'attend à faire 2 parties avant de gagner. C'est jouable, l'investissement est faible.
Par contre, dans ce même cas, on a par exemple
P(X > 6) = 0,56 ≃ 0,016
soit environ 1,6% de chances (négligeable ?) d'avoir à effectuer au moins 7 tirages successifs pour gagner, et donc 1,6% de chances d'avoir à investir la mise
M = 27 − 1 = 127
soit 127 fois la mise de départ et 127 fois le gain…

Avec un jeu un peu plus risqué, pour p = 1/4 par exemple, l'espérance est
E(X) = 1/p = 4
et la mise moyenne à investir
M = 2E(X)−1 ≃ 15
soit environ 15 euros … c'est 15 fois la mise départ, mais jouable (?).
Par contre la probabilité, par exemple, d'avoir au moins 12 tirages avant de gagner est
P(X > 11) = 0,7511 ≃ 0,04
soit environ 4% de chances (négligeable ?)
Dans ce cas, la mise à investir est de
M = 212 − 1 = 4095
soit plus de 4000 fois la mise de départ et donc aussi 4000 fois le gain … La rentabilité est plus que discutable !

Conclusion

Cette martingale, comme bien d'autres, est donc clairement efficace en théorie: un gain sûr assuré.
Par contre, en pratique, les mises à investir deviennent rapidement vertigineuses et rendent son utilisation illusoire: elle supposerait d'avoir une somme infinie à investir, ce qui n'est bien s&ucric;r pas le cas pour un joueur humain réel.



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